Assises Méditerranéennes de la Viticulture

Les premières Assises Méditerranéennes de la Viticulture se sont tenues le 10 mai dernier dans un contexte d’urgence climatique et environnementale. Le nombre de partenaires – dont Inter Oc – et de participants, plus de 600 live youtube compris, confirme l’intérêt de dessiner ensemble les voies d’une viticulture plus résistante et plus résiliente.

L’agroécologie était le fil conducteur de cette journée organisée pour partager, comprendre et agir autrement. Comprendre la vigne et ses interactions avec son milieu, intégrer l’urgence de redonner vie à nos sols et s’ouvrir à d’autres points de vue et connaissances pour inventer de nouveaux chemins.

Retour sur la conférence et l’exposé des quatre experts, Marceau Bourdarias, Antoine Canet, Hervé Covès et Konrad Schreiber dont l’alternance des 4 voix a rendu la matinée riche et rythmée mais la restitution périlleuse.

Un état des lieux plein de sens

Avant toute prise de décision, l’état des lieux s’impose. Les experts identifient 22 points de contrôle à analyser sous l’angle de la biologie et à l’aide de 4 filtres* pour établir sa feuille de route.

L’état des lieux débute dans les vignes en observant la plante et son environnement et en s’imprégnant des odeurs du petit matin. La qualité d’un sol vivant est d’être noir et de sentir le champignon.

S’ensuit l’analyse d’autres critères et modalités comme la taille, les pratiques culturales, les caractéristiques du sol, l’eau…

L’état des lieux constitue le préalable essentiel à l’atteinte de la triple performance :

  • alliance des systèmes végétaux
  • alimentation et limitation des températures du sol par la dégradation des pailles
  • fertilisation en pensant biologie et cycle

En gardant à l’esprit que la vie au cœur de la parcelle s’entretient 365 jours par an.

Sols en danger

Le constat est sévère. Les sols des vignobles français ne contiennent que 0,87% de matières organiques et ont un indice d’aridité de 0,83. Pour le GIEC, à un taux inférieur à 1%, on s’achemine vers un effondrement des sols.

Labourer est écocidaire

Les modes de conduite du vignoble français ont considérablement altéré la qualité des sols, leur fertilité, leur capacité à retenir l’eau, le carbone, la biodiversité….

Le labour perpétuel contribue au développement de bien des maux. Il est pour Konrad Schreiber « le premier système écocidaire du monde ». Il est pourvoyeur de nitrates détestés de la vigne. La liste des impacts négatifs s’étoffe encore : évaporation de CO2 et protoxyde d’azote (NDLR : dont le pouvoir de réchauffement est 300 fois plus élevé que le CO2), érosion, lessivage…

Les insectes ne viennent pas chez vous par hasard

Les maladies, les végétaux et les insectes ont besoin de conditions spécifiques pour évoluer. Leur apparition dans les vignes délivre un message qu’il est fondamental d’appréhender. Les insectes captent les ondes électromagnétiques émises par la plante. Ils font, par conséquent, partie de la résolvabilité du problème.

Les experts émettent l’hypothèse que les insectes ravageurs sont les sélectionneurs de l’écosystème chargés de le débarrasser des plantes malades.

Le travail du sol s’oppose à la vie des sols. « Sols nus, sols foutus ; sols couverts, sols prospères » est lancé sur scène ou encore « la filière s’achète de la fertilisation, pas de la fertilité qui, elle, est produite sur la parcelle ».

Gare aux nitrates !

Travailler le sol induit la production de nitrates, lequel nitrate rend toutes les plantes malades. Une vigne qui a absorbé des nitrates a un PH à 7,5, et un système racinaire incapable de prélever des minéraux dans le sol.  Elle déploie 3,5 fois plus d’énergie et consomme 5 fois plus d’eau qu’en présence d’ammonium (cf. ci-dessous) pour fabriquer ses protéines.

Reconsidérer sa relation au temps et à l’espace

Le gain de temps pourrait bien être une notion à mettre en balance avec l’efficience.

Faire le choix d’une plantation mécanique des plantiers contraint-il les racines à un développement altéré de son système ? Le bouturage crée-t-il une obsolescence programmée de la vigne ? La taille tardive est-elle une mauvaise pratique ? La destruction précoce d’un couvert remet-elle en question un bénéfice à plus long terme ?

A ces interrogations, Marceau Bourdarias est catégorique, la réponse est oui.

Les quatre experts ont bien conscience des incidences économiques et commerciales des choix qu’ils préconisent mais ils l’affirment : les résultats immédiats sont moins importants que le long terme.

Dans ce rapport au temps, accepter l’allongement de la vigne et le piloter permet l’amplification des réserves pour plus de résilience et moins de maladie du bois.

Pour une vigne résiliente, l’ébourgeonnage précoce, l’adaptation de la charge à la vigueur et l’absence de plaies de taille sont fondamentales pour la dynamisation de la plante.

Le cycle annuel utilisé comme outil de pilotage permet d’agir sur l’équilibre entre énergie produite et énergie consommée. Dans cette logique, la surface foliaire exposée est primordiale.

La dynamisation de la plante est la base et le fil conducteur d’une viticulture résiliente.

Terre fertile, comment ça marche ?

Konrad Schreiber le martèle, la fertilité des sols au service de la plante est alimentée par les plantes détruites et le paillage qu’elles offrent. Le paillage est nourricier, régulateur de température et rétenteur d’eau. Avec le temps, il est le berceau des cycles biologiques.

Sols couverts, sols prospères

Les couverts végétaux produisent de l’azote, régulent le cycle de l’eau et fournissent les minéraux.

Lorsque les conditions le permettent, des plantes comme la Luzerne d’Arabie, la Fausse Roquette, etc., gratuites, apparaissent dans les vignes. En pensant cycle, la menace d’une concurrence momentanée est dépassée pour agir et en limiter l’impact.

A leur destruction à la floraison, les végétaux s’avéreront apporteurs d’azote et stimulateurs des défenses naturelles de la vigne.

Avec l’ammonium (NH4) généré par le cycle vertueux de la dégradation des végétaux, la rhizosphère devient acide (ph = 5,5) rendant l’ensemble des minéraux accessibles. La production est plus généreuse avec un niveau d’intrants équivalent. L’usage d’acides aminés améliore plus encore les performances énergétiques de la plante.

Sur un sol usé, la première plante qui pousse est l’érigéron. Il faut la laisser pousser pour qu’elle raconte son histoire. Elle a bien des atouts… Elle produit beaucoup de carbone, de feuilles et de bois. Elle fait aussi de l’ombre, de l’évapotranspiration puis tombe au sol. Un cycle vertueux se met en route pour le mieux-être de la vigne, avec pour finalité la création d’humus. Ces plantes de type dicotylédones sont des mangeuses de nitrate, ennemi n°1 des plantes.

Adapter la charge à la vigueur

L’efficacité de la plante réside dans sa capacité à récupérer le plus de lumière pour récupérer le plus d’air et d’eau.

Pour être efficace, la vigne doit avoir une surface foliaire exposée déterminée par quantité de raisins récoltés. Le fameux « adapter la charge à la vigueur. »

La surface foliaire est un investissement pour produire. L’adapter, c’est piloter.

Perfectionner le système année après année, c’est assurer que la faune de surface réapparaisse avec son lot de bénéfices. La gestion du cavaillon restera un problème pour le vigneron. Pari est fait que ne rien faire est une solution.

L’agroécologie et le cycle de l’eau

70% de l’eau de pluie vient des terres et de l’évapotranspiration des plantes.

La matière organique stocke l’eau

La réserve utile est sous la dépendance de l’activité biologique des sols qui crée la porosité.

De plus, les mycorhizes sont enveloppés d’une pellicule d’eau qui représente jusqu’à deux fois le volume de la réserve utile. Ils multiplient par deux la capacité d’un sol à retenir l’eau.

1% de matière organique supplémentaire, c’est 200 m3 d’eau stocké à l’hectare.

Des plantes de lutte contre la sécheresse

Certaines plantes, comme le Nerprun Alaterne – plante à idioblastes, possèdent des attributs naturels qui récupèrent l’eau atmosphérique sur la surface de leurs feuilles, l’absorbent et la restitue au sol.

Dans les pays méditerranéens, le lierre et la salsepareille sont utilisés à des fins de réhydratation et d’irrigation.

Si l’on mesure la température du sol, une différence de 10° est observée entre un sol nu et un sol couvert de litière. Cette différence s’élève à 15° sous bosquet (de 36° à 21°).  En fonction du contexte, la gestion de l’eau sera forcément différente.

Des connaissances, des apprentissages et du partage pour nourrir le champ des possibles

L’agroécologie amène l’homme à se rapprocher de la nature et à l’écouter pour pouvoir intervenir et stimuler.

La matinée n’a donné aucune recette parce qu’il n’y en a pas. Chaque viticulteur trouvera ses réponses avec son état des lieux, sous l’angle de la biologie et prendra ses décisions à l’aide de ces quatre filtres*. Des solutions et des pratiques qu’il sera intéressant d’intégrer à un cahier de propositions pour une viticulture résiliente.

Côté coût, la nature est bien généreuse, elle est nourricière et protectrice avec une lumière et un air gratuits. Piloté, l’écosystème régénéré de la plante sera économe en euros, en travail et en pollution.

L’agroécologie est un investissement économique, environnemental et sociétal.

Ces assises sont le début d’un maillage de compétences, de connaissances et d’expertises qu’il sera enrichissant de faire converger pour accompagner la mise en route de nos sols vivants.

Vous gérez déjà vos couverts végétaux ou souhaitez planter des couverts végétaux dans vos parcelles, rejoignez la dynamique collective en cliquant ici.

* Les quatre filtres :

  • L’unité prévaut sur le conflit : l’agroécologie, c’est travailler avec au lieu de lutter contre
  • Le tout est plus grand que la somme des parties
  • Le temps est supérieur à l’espace : les résultats immédiats sont moins importants que le long terme
  • La réalité est plus grande que l’idée

46’ : ouverture et présentation des experts
1h07’30’’ : introduction
1h12’57’’ : état des lieux
1h30 : l’unité prévaut sur le conflit
1h42’18’’ : la vigne est une liane
1h57 : la vigne est forcément « mycorhizée »
2h04 : la triple performance
2h18’16’’ : régénération spontanée
2h23’35 ’’ : sol, santé et plantes
2h38’49’’ : sols en danger
2h45’56’’ : plantes bio-indicatrices
2h53’10’’ : agroécologie et cycle de l’eau
3h05’10’’ : terre fertile comment ça marche ?
3h18’08’’ : le temps est supérieur à l’espace
3h47’40’’ : focus sur l’eau
3h56’07’’ : les racines, les bourgeons et leur croissance